samedi, août 25, 2007

Taxi football


- Il ne fait pas très beau aujourd’hui !

- Oui…

Voilà la réponse typique qu’il craint et qu’il haie de tout son cœur, un « oui » synonyme de « lâche moi je ne veux pas engager la discussion avec toi ! »

Dés qu’il l’a vu monter dans son taxi, le visage de ce client -tiré à quartes épingles- ne lui plaisait pas.

Il fonctionnait ainsi : il avait toujours des pressentiments sur ses clients ! Et le visage de celui là avec son air snobinard était, pour lui, plus qu’antipathique, il ne le supportait pas du tout.

Il était si ennuyé par ce client qu’il a préfèré l’emmener par le chemin le plus court pour s’en débarrasser …

Ses doigts tapaient sur le volant dénonçant son énervement.

« Si je pouvais, j’aurais flanqué ce merdeux dehors … mais hélas, je ne peux pas car - qui sait ?- Il peut être flic. Il y en a de plus en plus !

Après tout, s’il est si snobe, c’est qu’il a sûrement des connaissances influentes qui pourront me compromettre ma licence de taxi ! »

Depuis les rumeurs qui disent qu’il ne faut jamais se fier aux chauffeurs de taxis ni aux coiffeurs ni aux serveurs car ils pouvaient être des flics infiltrés, les gens parlent de moins en moins !

« Moi, je ne comprend pas toute cette peur qu’affichent les gens, surtout à mon égard ! Moi qui suis farceur et qui blague tout le temps ! Un flic c’est sérieux, on ne peut pas se tromper. Et puis j’ai collé sur le pare-brise de mon taxi l’autocollant de mon club de foot : « le club africain », un flic ne fera jamais cela ! »

Mais tout cela n’empêche pas que lui aussi se méfie des serveurs, des coiffeurs et même de ses collègues !

« Ah quelle putain de journée ! » Il disait à haute voix, en voyant l’embouteillage : il y avait un cortège officiel qui allait passer « dans quelques minutes ! » Lui a annoncé le flic !

Nerveux, il se grattait le montant tout en jetant un coup d’œil vers son autoradio.

Son équipe favorite jouait à l’instant mais il n’osait pas ouvrir la radio, il était presque sûr que son client était espérantiste (supporter de l’espérance de Tunis) « …sinon saurait-il aussi snobe et aussi désagréable … c’est sûr ! Il ne peut être que ça ! »

En temps normal il aurait été à cet instant là dans le stade, il ne ratait jamais un mach, il se souvient que lorsqu’il était gamin et lors d’une finale remportée par son équipe, il pleurait de joie si intensément que les caméras l’ont filmé … et depuis dans tout son cartier, pour discuter des triomphes du « club africain » il fallait s’adresser à lui : il es devenu la mascote de l'equipe ! En plus, il savait tout par cœur : tous les titres remportés, tous les joueurs de tous les temps et même toutes les actions de buts et les belles actions !

C’était la belle époque, il aimait si fort son équipe que lorsqu’il rencontre un client mordu du « club africain », il ne lui faisait pas payer la course. Il se souvient même, qu’un jour de bon augure un haut responsable du club est monté dans son taxi et a même accepté d’aller boire un café avec lui!

Mais hélas, les temps ont changé ! Son équipe n’est plus une équipe prodigieuse, elle pointe depuis quelques années au milieu du tableau si ce n’est pas au fond ! Quelle honte ! Il n’osait même plus se regarder dans la glace ses jours là ! Et les même gens qui le félicitaient pour les titres remportés par son équipe, venaient pour se moquer de lui.

A chaque fois qu’en écoutant le sport dans son taxi il tombait sur quelqu’un qui se moquait de l’équipe.

« Ils ont vite oublié que c’est une école, que c’est toute l’histoire du sport tunisien ! ».

Depuis, il n’aime plus parler de sport, il n’aime plus aller au stade et refuse même d’ouvrir son autoradio !

- En fin ce n’est pas trop tôt !

La route commençait à se dégager, le même flic qui lui a parlé s’approche de lui en lui disant :

- Faites attention, il y a un mach qui se joue, les supporters sortent bientôt !

- Oui, je sais !

« Un mach ! » Et quel mach … c’était le derbie entre le club africain et l’espérance de Tunis, l’équipe qu’il aime contre l’équipe qu’il haie, l’équipe en bas du classement contre l’équipe toujours gagnante.

« Je suis presque sûr que mon équipe va encore perdre, à moins que nos jeunes joueurs sauvent enfin son honneur... Et s’ils gagnaient ? »

Ca n’est pas arrivé depuis des années, et depuis cette époque son travail est un enfer, de toute sa vie il ne savait que parler de foot, et là puisque le foot l’a trahi, il ne trouve plus quoi dire : il n’était pas allé très loin à l’école pour parler de sujets culturels; et puis il n’y a que le football qui le passionne, alors il commençait à parler de l’équipe nationale mais déception après déception il y a renoncé. Apres il s'est résolu à parler de football mondial mais il s’est aperçu que la plus part de ses clients ne s’y intéresse pas et donc, depuis un bon moment il ne peut parler que des prévisions météo et ne conduit qu’avec l’autoradio fermé ce qui l’a poussé dans une énorme solitude très agaçante !

- C’est cette route à droite ! Disait le client.

- oui … je sais !

C’était une route assez proche du stade. A l’heur qu’il est le mach est sûrement terminé et plus il s’approchait du stade plus son cœur battait.

« Auront t-ils sauvé l’honneur de l’équipe, Même un mach nul fera l’affaire ! Même si on perd un à zéro ça ne serait pas très grave .Et si on gagnait ? Ça serait génial, je quitterais mon taxi et j’irais faire la fête ! »

Il était pris par ses rêves, guettant le feu qui était toujours rouge quand il a aperçu des supporters de l’espérance sautant et chantant dans la rue tout en brandissant des drapeaux de leur équipe. Plus ils avançaient plus ses mains tremblaient, son cœur lui faisait mal !

En voyant l’autocollant du « club africain » collé sur le pare-brise du Taxi, trois jeunes se détachèrent du groupe, se sont tennu devant le taxi, deux d’entre eux continuaient à chanter quant à l’autre il s’est penché; et tout en riant, il a fait signe en brandissant 4 doigts !

Notre ami voyait le monde s’écrouler devant ses yeux …il serrait le volant avec ses mains et ses yeux lâchaient un toron de larmes et puis son pied est parti tout seul … appuyant sur la pédale de vitesse fonçant droit sur la foule.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu devrais commencer un roman toi.
En mêmetemps, je trouve que la fin révèle un personnage un peu barge tout de même.

Gouverneur de Normalland a dit…

@octivebyoctive: merci mon ami ! c tres flatteur !
j aimerais bien ecrire un roman un jour.

j adore decortiquer et analyser ce genre de personnage : entrer dans sa tete et dans son comportement. se glisser dans sa peau me permettera de mieux le comprendre.